(...) Les causes du conflit sont multiples et d’ordre socioéconomique. Mais les éléments déclencheurs de ce soulèvement qui a conduit à cette répression d’une rare violence sont une succession d’événements humiliants, sur une longue durée, qui ont fini par fâcher les populations. Cela a commencé par l’expropriation des terres pour des projets immobiliers de l’État dans la période d’après indépendance à 1970 et bien au-delà, en plus d’une série de dérives de toutes sortes. À cela est venu s’ajouter le manque de considération dans l’administration et dans les autres lieux de travail, l’enclavement de la région et le manque criant d’infrastructures de qualité. Une région délaissée et laissée à elle-même, malgré son fort potentiel économique, au point que les Casamançais avaient le sentiment de vivre dans un autre monde. La plupart d’entre eux ne se reconnaissaient pas vraiment comme étant des Sénégalais à part entière. Toute une succession de faits inacceptables et frustrants qui ont fini par excéder les populations et les pousser à exprimer leur ras-le-bol. Parmi ceux-ci, l’expropriation foncière revenait toujours. (...)
(...) Trop de mal a été fait sans raison. Pendant ce temps, le problème reste entier et non résolu jusqu’à présent. Comme si
nous n’avions pas suffisamment appris des leçons du passé ! Pourtant, nous savons tous bien que les causes de ce conflit qui minent la Casamance sont multiples et ne datent pas d’aujourd’hui. Mais nous ne faisons rien pour nous en sortir.
Nous préférons rester en dehors de cette affaire, regarder comme des spectateurs ou des observateurs les choses pourrir, sans rien faire, et laisser d’autres personnes qui ne sont pas de la région et qui ne maîtrisent pas le dossier casamançais agir à notre place pour essayer de nous trouver la solution miracle qui va nous sortir de cette situation. Quand allons-nous nous réveiller et prendre ce problème au sérieux ? Comment en est-on arrivé là, en parlant des causes du conflit, et quelles sont-elles exactement ? De longues frustrations liées au mécontentement d’ordre social, économique, politique, culturel, etc., peuvent en effet pousser un peuple à la révolte. Et c’est ce qui s’est passé en Casamance, dans les années 1970. (...)
(...) Chacun de nous a au moins une fois eu le privilège d’entendre son grand-père, sa grand-mère ou ses parents lui raconter ce pan de l’histoire de la Casamance. Cette histoire qui date de la période de la colonisation jusqu’à l’indépendance du Sénégal et bien au-delà. Le peuple casamançais a longtemps souffert dans sa chair de l’injustice et de l’humiliation et ne pouvait continuer à rester insensible à tous ces abus ou préjudices qu’on lui mettait sur le dos. C’était devenu lourd à porter. C’était devenu tellement lourd à porter qu’il lui fallait réagir pour se faire entendre et se faire respecter. Il fallait résoudre ce problème une bonne fois pour toutes. Des intimidations et humiliations – concernant toujours le foncier, dans le cadre du plan d’urbanisation de la ville – s’ensuivront sans que ces pauvres gens désemparés qui étaient pourtant d’honnêtes citoyens n’aient pu obtenir gain de cause. À cela, il faut ajouter les problèmes d’ordre administratif relatifs à l’obtention d’un document... (...) J’en ai moi-même fait les frais, une année. (...)
(...) L’attitude cavalière de l’administration locale et la posture du pouvoir d’alors, sous la présidence des socialistes, Léopold Sédar Senghor, d’abord, et Abdou Diouf, face aux multiples injonctions de certaines personnalités de la région Sud, n’y feront rien. Une situation jusque-là incompréhensible ! De guerre lasse, ils ont décidé de passer à la vitesse supérieure pour se faire entendre, le dimanche 26 décembre 1982, lors d’une grande manifestation. C’était sans compter que l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, celui-là même qui défendait la cause des sans-voix, allait se faire arrêter l’avant-veille de Noël de cette même année, à Ziguinchor, plus précisément au presbytère de la cathédrale Saint-Antoine-de-Padoue, alors qu’il était alité. Il était venu de Diouloulou, plus précisément de Kafountine, pour voir son médecin. Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que la nouvelle de son arrestation se répande comme une trainée de poudre, dans toute la ville. Mais cela n’a pas empêché les populations de vaquer tranquillement à leurs occupations. Ces dernières, surtout les catholiques, étaient plongés dans la préparation de la messe de minuit, et toute la ville était en effervescence, vu les fêtes de fin d’année qui se profilaient à l’horizon, mais surtout, la fête de la naissance de Jésus-Christ et du réveillon du 24 décembre. (...) P. 20-24