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Quant au MFDC, il affûtait ses armes. Ses membres suivaient de très près la situation de leurs frères en détention à Dakar et comptaient se faire entendre à travers d’autres manifestations pour réclamer la libération de ces derniers, à défaut, un procès équitable. Ils attendaient beaucoup de la justice. Au terme du procès qui s’est ouvert le 5 décembre 1983 et qui a vu la condamnation d’Abbé Augustin Diamacoune Senghor et de ses codétenus, sauf quelques-uns qui s’en sont sortis après une relaxe pure et simple, faute de preuves suffisantes, la Casamance a retenu son souffle. Mais les rebelles du MFDC5 n’ont pas attendu la fin du procès pour arrêter une date afin de crier leur désapprobation face à cette mascarade montée de toutes pièces. Ils s’étaient réunis dès le lendemain de l’ouverture du procès, à Diabir, pour voir la conduite à tenir. C’est ainsi que la date du 18 décembre 1983 a été retenue. Mais alors qu’ils étaient en pleine réunion d’information – réunion à laquelle ils avaient invité la population à prendre part –, un incident est venu assombrir la journée du 6 décembre. Des gendarmes furent tués sur place... (...) Pour ne pas se faire prendre, ils ont vite fait d’évacuer les lieux, en s’évaporant dans la nature. C’était le sauve-qui-peut général avant l’arrivée des renforts, laissant derrière eux un calme plat. La tension était palpable. Une chasse à l’homme fut vite organisée pour retrouver les criminels. Pour ce faire, rien n’était laissé au hasard. (...) Qu’à cela ne tienne, la marche du 18 décembre aura bel et bien lieu !
Le jour j – dimanche 18 décembre 1983 –, toute la ville s’est réveillée dans l’émoi et la confusion totale. C’est très tôt, ce matin-là, que les combattants du MFDC ont envahi la ville. Ça tonnait de partout. Après l’instant d’étonnement et de questionnement, place à la peur qui était le sentiment le mieux partagé. Après quelques échanges de tirs nourris, la situation avait fini par être maîtrisée par les forces de sécurité. Des blessés et des morts, il y en a eu, ce jour-là, comme lors de la première manifestation du MFDC, le 26 décembre 1982. (...) À part les informations sur la situation du jour qui parvenaient de la radio locale, seuls les sirènes des ambulances et les va-et-vient de ces dernières pouvaient nous donner une idée du nombre de blessés et de morts. Vraisemblablement, c’était la débâcle des indépendantistes, ce jour-là ! Mais c’était sans compter leur témérité. Les semaines qui ont suivi ont été lourdes de conséquences pour les populations surtout, qui allaient vivre aussi bien sous la terreur des forces de l’ordre que sous celle des rebelles du MFDC. Dénonciations, tueries, exactions, tout y est passé. Les belligérants cherchaient à marquer leur territoire et se regardaient en chiens de faïence.
Depuis, le ciel s’est assombri dans cette belle région. Mais malgré l’angoisse qui règne depuis plusieurs décennies dans toute la Casamance naturelle, principalement dans la région de Ziguinchor, des efforts sont déployés par l’État, par des organisations, associations et autres institutions, pour venir en aide aux populations. De même, les négociations pour la recherche de solutions en vue d’un retour définitif de la paix se poursuivent. Même après plusieurs échecs, le peuple y croit encore.
Qui sait ? Demain, il fera jour peut-être. Demain, l’espoir d’un nouveau jour est encore possible. Demain ne sera plus comme hier, et tous les enfants de la Casamance retrouveront le sourire !
Qui sait ? Demain… Demain, tout est encore possible. Rien n’est perdu, comme certains le pensent. Il suffit juste d’y
croire et de mener le bon combat. Pas celui des armes qui est destructeur en tout, et qui ne laisse sur son passage que malheur, chagrin et larmes.
Demain, qui sait ? La nouvelle génération aura son mot à dire et s’impliquera davantage dans les affaires de la cité, et tous les enfants du Sénégal ne formeront qu’un seul et unique peuple uni autour de valeurs essentielles. Ces valeurs que nous, peuple de la Casamance, avons héritées de nos aïeux, de nos parents, oncles, tantes, en un mot, de la communauté tout entière et qui font la fierté de tous les Casamançais. Ces valeurs qui mettent en avant notre « vivre ensemble ».
Et quand ce jour arrivera, alors là, demain sera un nouveau jour et il fera vraiment jour dans toutes les contrées de la Casamance. Les visages qui s’étaient assombris depuis bien des années, crispés par la douleur et l’incertitude du lendemain, rayonneront de bonheur. Demain, le chant des oiseaux viendra rythmer les beaux matins de nos campagnes. Demain, les villages qui s’étaient vidés de leurs populations, à cause de ce conflit armé, s’animeront à nouveau, petit à petit, et les femmes, en bonnes épouses, se lèveront très tôt, au premier chant du coq, pour piler le mil, le tamiser et préparer de la bonne bouillie arrosée de miel et de lait caillé, pour le bonheur de toute la progéniture, du chef de famille et de tous ceux qui vivent dans la concession. Demain, les enfants retrouveront le chemin de l’école, les marchés s’animeront et les gens vaqueront tranquillement à leurs occupations, sans aucune crainte. Demain, les hommes se retrouveront sous l’arbre à palabres pour discuter avec entrain, de tout et de rien. Demain, les enfants se retrouveront après le dîner, autour de grand-père, de grand-mère, d’un oncle ou d’une tante, pour se faire raconter une belle histoire sous une nuit étoilée et au clair de la lune – un de ces agréables contes bien de chez nous qui ont rythmé notre enfance – avant d’aller au lit, le cœur apaisé et la tête dans les étoiles.
Demain, oui, demain, une nouvelle ère écrite en lettres d’or commencera pour notre belle région, Ziguinchor, pour la
Casamance naturelle dans son ensemble, cette grande entité riche de ses ressources naturelles et de sa diversité culturelle,
et pour l’ensemble du Sénégal tout entier.
C’est le vœu que je formule pour ma verte et belle Casamance. Cette Casamance si chère à mes yeux ! Cette Casamance de mon enfance ! Cette terre historique ! Cette terre de salut, mais aussi de résistance ! Cette terre connue pour ses vaillants hommes et femmes ! Cette région naturelle citée parmi les plus belles du Sénégal et pourquoi pas, de l’Afrique de l’Ouest ! Cette région aux richesses énormes !
Ce vœu devrait être aussi celui de tous les Sénégalais. Pour nous autres, peuples de la Casamance6 , toutes ethnies confondues, épris de justice et de paix, c’est notre vœu le plus cher ; celui de voir notre belle région retrouver sa belle image, son aura d’avant la crise, et se réconcilier avec elle-même et avec tous ses enfants, sans distinction aucune. Cette situation de ni paix ni guerre qui a pris en otage tous les Casamançais depuis plusieurs décennies n’a que trop duré et n’est pas pour arranger les choses. Tout au plus, elle sape le moral des populations, avec son lot de malheurs qui n’a pas encore fini de faire couler les larmes des populations désemparées et
laissées à elles-mêmes. (..)
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