Le scénario longtemps redouté par les scientifiques se profile. Aux Etats-Unis, des chercheurs du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) ont détecté chez une femme atteinte d’une infection urinaire tenace une souche d’Escherichia coli (E. coli) mutante qui résiste aux antibiotiques, y compris à lacolistine, un puissant antibiotique utilisé en dernier recours dans ce type de cas. Cette découverte, publiée fin mai dans la revue médicale Antimicrobial Agents and Chemotherapy, agite le spectre de l’antibiorésistance et ravive la peur d’un monde sans défense face aux infections microbiennes. Alors, tous foutus ? Petite séance de questions-réponses.
Pourquoi la résistance aux antibiotiques fait-elle peur aujourd’hui ?
L’antibiorésistance ne date pourtant pas d’hier, c’est même quelque chose de naturel. Seulement « le phénomène prend de l’ampleur, il y a de plus en plus de bactéries résistantes aux antibiotiques, notamment du fait de leur mésusage et de leur surconsommation, chez l’homme comme chez l’animal, à savoir dans la viande que l’on mange », observe Patrice Nordmann, professeur de microbiologie à l’Université de Fribourg (Suisse) et directeur de l’unité « Résistances émergentes aux antibiotiques » de l’Inserm à titre étranger.
« E. coli est une bactérie très commune du tube digestif, mais dans le cas de cette patiente Américaine, la bactérie était porteuse du gène MCR-1, elle a muté et développé une résistance à quasiment tous les antibiotiques, dont la colistine. Et pour l’heure, on ne sait toujours pas comment cette femme l’a contractée », explique-t-il. Un exemple qui illustre la menace de l’antibiorésistance, qui pourrait devenir plus meurtrière que le cancer et tuer une personne toutes les trois secondes en 2050. « Pour un nombre croissant d’infections, comme la pneumonie, la tuberculose, la septicémie et la gonorrhée, le traitement est devenu difficile, voire impossible, suite à la perte d’efficacité des antibiotiques », s’alarme d’ailleurs l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Quelles sont les conséquences de cette antibiorésistance ?
Problème de santé publique majeur qui gagne de l’ampleur, la résistance aux antibiotiques n’épargne aucun pays, qu’il soit riche ou pauvre. « Dans la seule Union européenne, on estime que les bactéries pharmacorésistantes sont responsables chaque année de 25.000 décès », rapporte l’OMS. Et pour cause, parmi ces souches résistantes, « beaucoup sont hospitalières, et engendrent ainsi des infections nosocomiales. C’est assez criant en Italie et en Grèce », relève le Pr Nordmann, qui décerne un bon point à la Suisse et au Danemark, « où il y a très peu d’épidémies d’antibiorésistance ». Résultat des courses : quand un antibiotique de première intention est inefficace sur un patient, un cercle vicieux s’enclenche. Il est hospitalisé plus longtemps, est soigné avec des traitements bien plus chers et les dépenses de santé explosent.
L’autre souci, et pas des moindres, c’est que « la recherche pharmaceutique sur les antibiotiques n’est pas très rentable », note le microbiologiste. Sans la perspective d’un retour sur investissement conséquent, les laboratoires rechigneraient à plancher sur de nouveaux antibiotiques qui pourraient contrer ces bactéries mutantes. « Mais le tableau n’est pas tout noir non plus et on ne s’oriente pas pour autant vers un monde sans antibiotiques, tempère-t-il. Ça, c’est impossible ».
Quelles sont les pistes pour lutter contre l’antibiorésistance ?
Quelques mesures de bon sens s’imposent. Rappelez-vous : « les antibiotiques, c’est pas automatique ». Il faut donc commencer par limiter la prescription des antibiotiques, comme le suggère l’InVS, qui appelle à « réduire la consommation d’antibiotiques de moitié ». Dans le même temps, « l’utilisation de la colistine sur les animaux , qui favorise la résistance à cet antibiotique, devrait baisser », espère le Pr Nordmann. Mais en premier lieu, une bonne hygiène des mains est capitale, pour les civils tout comme pour les personnels hospitaliers. « C’est la première chose à faire pour lutter prévenir les infections bactériennes, donc l’antibiorésistance », souligne-t-il. « Et là, il y a un gros travail de sensibilisation à poursuivre ».
Mais ce n’est pas tout, et de nombreux scientifiques sont à pied d’œuvre pour trouver de nouvelles voies thérapeutiques. L’une d’elles, c’est la phagothérapie, qui consiste à utiliser des virus mangeurs de bactéries, les « phages », pour guérir les infections bactériennes. « Mais j’aimerais bien voir la tête des patients quand on leur dira qu’on va leur inoculer un virus pour les guérir », tacle le microbiologiste, peu convaincu par ce procédé. « Ce qu’il faut, c’est développer de nouvelles molécules chimiques, de nouvelles classes d’antibiotiques capables de tuer les bactéries résistantes. L’Inserm et la Fondation pour la recherche médicale planchent d’ailleurs sur la question ».
Autre point crucial : gagner du temps. « Il faut développer de nouvelles techniques de détection rapide des antibiorésistances. Aujourd’hui, les résultats de ces tests sont obtenus au bout de 24 à 48 heures », déplore le microbiologiste, qui a mis au point un dispositif breveté par l’Inserm qui donne un résultat en 30 minutes. « Ça passe aussi par une surveillance accrue en France et ailleurs, insiste le Pr Nordmann. Comme on a pu le voir avec certains virus (Ebola, MERS, etc.), ce qui se passe en Afrique et en Asie peut se propager rapidement dans le reste du monde ».