Partager du temps, des fous rires, des discussions, de bons moments, être sûr de leur confiance et de leur bienveillance comme ils le sont de la nôtre : c’est le désir de tout parent. Reste à savoir s’il est réalisable, et même souhaitable…
« C’est génial votre complicité ! Ton fils te traite en amie. » Je venais d’évoquer avec une copine la vidéo d’une conférence TED sur l’écriture et la créativité que mon fils de 23 ans m’avait envoyée, pensant qu’elle serait susceptible de m’intéresser et de m’inspirer. « Amie » : le mot a résonné curieusement en moi, provoquant en même temps un petit rejet défensif – c’est mon fils, pas mon ami ! – et, il faut bien l’avouer, une bonne dose de fierté. Je me souviens d’avoir réfuté malgré tout le terme et de lui avoir préféré celui de « complice ». Mais le ver était dans le fruit, et la question « peut-on être ami avec son enfant ? » est revenue cogner avec insistance dans mon esprit. J’avais beau savoir que la réponse psychologiquement correcte était un « non » franc et massif, quelque chose en moi résistait.
Ami, complice, quelle différence ? Où placer la ligne de démarcation ? Copiner avec ses enfants et ses ados sur un mode soixante-huitard, avec tout ce que cela comporte de confusion générationnelle et d’intrusion affective, n’est certes pas souhaitable. Il me semble en revanche qu’une fois qu’ils sont devenus de jeunes adultes, vouloir tisser avec eux une relation complice, riche d’échanges, comme celle que l’on peut avoir avec ses amis, est un désir légitime et largement partagé. J’ai bien conscience que ce souhait d’amitié en famille est caractéristique de notre époque, de notre culture. Ce que confirme le pédopsychiatre Patrice Huerre. « Cela ne serait jamais venu à l’idée de nos grands-parents et arrière grands- parents. Cette envie est liée à plusieurs facteurs : la modification de l’autorité, le fait de vouloir rester jeune le plus longtemps possible, le sentiment d’insécurité et la fragilité des liens familiaux, la difficulté à accepter le conflit et, enfin, le besoin d’être rassuré quant à ses compétences parentales. Cela fait que l’enfant est surinvesti à tous les niveaux. Et les parents attendent leur retour sur investissement, le désir d’amitié en étant l’une des modalités.
Un certificat de bonne parentalité ?
Être un bon parent, en avoir la certitude, enfin. Avoué ou inconscient, ce souhait taraude bon nombre d’entre nous. L’un des certificats de bonne parentalité ? Être ami avec son enfant sur Facebook. Rose, 43 ans, mère de Chloé et de Clara, 17 et 14 ans, s’en réjouit. Elle met en avant « une complicité faite de partages d’images, de petits mots » qui permet de se « connaître autrement, sur un mode plus ludique ». Elle élude en revanche la question de l’intrusion dans l’espace intime, affirmant qu’elle ne surveille pas ses filles et qu’elle se contente « de petites incursions ». Livia, 17 ans, confie quant à elle avoir barré l’accès du réseau social à sa mère. « C’est trop bizarre de l’avoir comme amie. Mon refus l’a vexée, elle m’a dit que ses copines étaient amies avec leurs filles. Je n’ai pas cédé, Facebook, c’est mon truc à moi. »
Défendre son territoire intime d’un côté, jouer la carte de la complicité et de la modernité parentale de l’autre, on le voit, l’amitié familiale et transgénérationnelle comporte des enjeux particuliers, dont la violence n’est pas absente. « Amour et haine sont mêlés dans les sentiments de l’enfant pour ses parents. Cela se tasse en général avec le temps, mais il faut garder à l’esprit que ce lien met en jeu des affects violents, explique la psychanalyste Catherine Vanier. Il est fortement teinté des conflits névrotiques de l’enfance. La relation est forcément inégalitaire : dans la tête des parents, l’enfant en reste un toute sa vie ; et dans la sienne demeure longtemps le sentiment qu’il est détenteur d’une promesse à réaliser pour ses parents, qu’il ne peut pas, ne doit pas décevoir. C’est une pression énorme qu’il subit, dans l’enfance et pendant l’adolescence. »