Les femmes actrices du développement ont été au cœur des résolutions du XVe Sommet de la Francophonie à Dakar. Au Sénégal, les femmes entrepreneures sont de plus en plus nombreuses. Plus jeunes qu’auparavant, actives dans des secteurs plus divers, elles se rassemblent en unions dont l’une d’elles, l’UFCE est présidée par Nicole Gakou, 54 ans. Rencontre avec la patronne des patronnes.
Editrice, consultante, présidente d’une union de patronnes et peut-être bientôt femme politique dans l’opposition. Nicole Gakou, cheffe d’entreprise dakaroise est une entrepreneure dynamique. Depuis dix ans, elle s’attelle à valoriser et guider des femmes qui, comme elle, ont monté leur affaire.
Dès 1999, Nicole Gakou crée une société d’impression industrielle qu’elle a aujourd’hui fermée pour se consacrer davantage à son entreprise de publication de livres de jeunesse : les éditions Kalaama qu’elle passe au numérique. Un changement des méthodes de travail et un pari sur l’avenir. Si elle maintient cette activité et tient à la développer, c’est « par amour du livre, confie-t-elle. Mais ce n’est pas l’édition qui me nourrit. Je suis aussi consultante dans mon entreprise de conseil, pour les PME. Et je fais aussi beaucoup de développement personnel. »
Aujourd’hui, sa « passion » c’est l’Union des Femmes Chefs d’Entreprises du Sénégal. Avant la création de l’UFCE, en 2005, Nicole Gakou, déjà vice-présidente du Mouvement des Entreprises du Sénégal (MEDS) et coordinatrice du Collectif des Femmes Chefs d’Entreprise n’est pourtant pas convaincue par l’utilité d’une nouvelle union entrepreneuriale regroupant uniquement des femmes. Pourtant, les questions du genre dans l’entreprenariat et l’importance de la valorisation des femmes créatrices de PME se posent. Deux ans après, l’UFCE naît.
Cette union est le reflet d’un paysage entrepreneurial sénégalais féminin. A sa création, 107 membres rejoignent l’UFCE « 90% d’entre nous étions dans le secteur informel, sans reconnaissance légale, ni impôt payé, dépôt de bilan, ni de registre de commerce. » Un secteur dominé par les femmes. « D’où l’utilité de l’UFCE qui les a aidées à passer de l’informel à l’entreprise formelle. »
Aujourd’hui, l’union compte 500 membres « de la micro entreprise (l’auto-emploi) jusqu’à celle de 50 employés » dans trois régions du pays (Dakar, Saint Louis, Ziguinchor). Les Sénégalaises entrepreneuses sortent de l’ombre.
Nicole Gakou a désormais l’ambition d’élargir cette union aux autres régions du pays. Elle nous brosse en 5 mots clés le portrait de la femme sénégalaise cheffe d’entreprise.
Jeunesse
«La moyenne d’âge des cheffes d’entreprises membres de l’UFCE est de 40 ans. Auparavant, les femmes créaient leur entreprise quand les enfants étaient grands ou bien quand elles étaient à la retraite. Moins elles avaient de charges familiales, plus elles allaient vers la création d’entreprise. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La plus jeune d’entre nous a 24 ans. Au sortir de l’école, elles ont une première expérience professionnelle et rapidement elles fondent leur entreprise.
Cela signifie que la typologie même de la femme cheffe d’entreprises a changé. Elles ont une moyenne d’éducation de Bac+2. Mais leur niveau d’étude va de celle ayant Bac+10, qui a touché le plafond de verre et qui veut créer son entreprise, à celle à peine alphabétisée.»
Diversité
« 46% de nos membres sont dans l’agro-alimentaire (agriculture, élevage, transformation de produits agricoles, piscicultures). 17% dans les services à la personne (vente de matière première, école, … ).1% dans l’industrie, particulièrement dans l’industrie cosmétique. 36% dans l’artisanat d’art et l’industrie culturelle (tissage, modélisme, vannerie, …).»
« Où se font les affaires ? Dans les cafés et les restaurants. Mais il est très mal vu qu’une femme seule sorte le soir dans les restaurants pour rencontrer des gens, «soit disant» autour d’un dîner d’affaires. Ce n’est encore pas très bien compris culturellement. Ce sont ces contraintes que l’on doit lever petit à petit. Mais ce sont des contraintes par lesquelles les femmes américaines ou européennes sont passées. Et qu’elles continuent de rencontrer. »
« Il y a des pesanteurs sociales en Afrique et au Sénégal. Mais c’est plus la femme qui se freine que la société qui la freine par peur du qu’en dira-t-on. Cela peut se comprendre parce qu’on a été éduquées dans cette peur là. »
Visibilité
« J’adore dire que si je suis venue à la création d’entreprise c’est à cause de certaines femmes dont Adja Dior Diop ancienne présidente du Réseau Africain Soutien à l’Entreprenariat Féminin (RASEF), qui passait à la télé et montrait ce que les femmes commerçantes faisaient. Elles nous ont donné envie d’entreprendre, de créer.
Aujourd’hui aussi, il faudrait que l’on puisse montrer ces femmes là.
Quand je fais le tour de nos bureaux régionaux, je dis en revenant que je n’ai pas le droit de dire que je suis la présidente de l’UFCE. Je trouve que nous avons moins de mérite, nous qui sommes en ville, lettrées.
Les présidentes sont ailleurs, celles qui méritent ce titre sont celles qui ont eu à réaliser des choses extraordinaires à partir de rien. Elles ont la reconnaissance de leur communauté mais elles ne sont pas connues au niveau national.
L’UFCE a donc l’ambition de mettre en place un journal pour montrer ces femmes à la face des jeunes et dire : c’est possible d’y arriver, certaines y parviennent avec de maigres moyens. »
Difficultés
« Beaucoup vous diront que le financement reste un problème. Mais pour moi le problème en 2014, c’est le développement de ces entreprises qui sont créées : comment passer de la micro entreprise à la moyenne puis la grande entreprise. En fait, développer et perdurer. Aujourd’hui, nous avons un taux de mortalité des PME extraordinaire. Au bout de trois ans, elles disparaissent.
Leur pérennité passe par des produits financiers adaptés à la gent féminine. Car les femmes se tournent beaucoup vers la micro-finance qui entraîne souvent leur surendettement. »